Francia: La pomme de terre apprend à se passer de pesticides
8 nouvelles variétés de pomme de terre résistantes au mildiou ont été présentées au congrès Potato Europe. L’usage des fongicides sur cette culture devrait baisser drastiquement.

RÉSISTANCE. Les quatre rangs de pomme de terre présentés dans la "zone technique" du Congrès Potato Europe qui vient de se dérouler à Villers-Saint-Christophe (Aisne) ont constitué une des attractions du congrès Potato Europe qui s’est déroulé les 14 et 15 septembre 2016. Côte-à-côte, deux rangs de rattes, l’un traité chimiquement contre le mildiou, l’autre non. Les feuilles des plants non traités sont complètement grillées par le mildiou, ce champignon microscopique le plus redoutés par les planteurs de pommes de terre. En parallèle, deux rangs de "Passion", une nouvelle espèce inscrite cette année au catalogue des variétés officielles pouvant être cultivées en France. Feuilles et tiges sont vigoureuses, à peine marqué par quelques tâches de mildiou. Les expérimentateurs d’Arvalis sont formels : ces plants n’ont reçu aucun traitement. Ils sont résistants.
Comment en est-on arrivé à un tel résultat ? Jusqu’à présent, le mildiou ne pouvait se traiter qu’avec de la chimie, rendant aléatoire les rendements des pommes de terre bio. "Il faut traiter préventivement puisqu’une fois le champignon installé, il se diffuse très vite grâce à la dispersion de ses spores, ce qui implique jusqu’à 16 traitements (hors herbicide) pour une culture plantée en avril pour une récolte en septembre", détaille Jean-Paul Bordes, chef du département recherche et développement d’Arvalis. Quatrième source de protéines végétales pour l’homme (derrière le riz, le maïs et le blé), Solanum tuberosum est aussi le troisième utilisateur de pesticides derrière la pomme et la vigne. Etait, devrait-on désormais écrire, car les solutions génétiques, prophylactiques et techniques émergent pour réduire cette dépendance à la chimie impactant fortement l’environnement.
La coévolution des espèces rustiques de patates
COLLECTION. C’est en 1982 qu’ont débuté les travaux sur la résistance à Phytophthora infestans sur le site Inra de Ploudaniel (Finistère). "Nous avons constitué à cet endroit une collection importante de plusieurs milliers de solanacées tubéreuses dont plus d’un millier de clones issus d’une trentaine d’espèces apparentées à la pomme de terre et provenant de leurs régions d’origine, l’Amérique Latine", explique Jean-Eric Chauvin, directeur adjoint de l’IGEPP (Institut de Génétique, Environnement et Protection des Plantes). Membre de la famille des solanacées (qui comprend aussi la tomate, le poivron, l’aubergine, le tabac), la pomme de terre est aussi cousine de 200 espèces sauvages produisant des tubercules de taille généralement très réduite et souvent non comestibles. "Mais elles ont pour intérêt d’avoir coévolué avec les principaux parasites que l’on connait sur les pommes de terre cultivées et elles ont donc développé des mécanismes de résistance qui leur ont permis de survivre dans la nature", poursuit Jean-Eric Chauvin. L’idée est donc d’identifier ces gènes de résistance et de les transférer par hybridation aux plantes cultivées.
champ de pomme de terre
A Ploudaniel (Finistère), essais comparatifs entre plants résistants et sensibles au mildiou. Les pommes de terre non résistantes ont les feuilles grillées par la maladie. © Inra
L’affaire s’est révélée très compliquée. "Le génome de la pomme de terre est tétraploïde, c’est-à dire que ses 39 000 gènes sont répliqués quatre fois, tandis que les espèces sauvages sont majoritairement diploïdes, explique Jean-Eric Chauvin. Il a donc fallu ruser pour éviter que les croisements ne soient stériles". Autre difficulté : pas question de se contenter d’un seul gène de résistance. Le mildiou est en effet doté d’une très grande capacité d’adaptation et peut contourner facilement les obstacles qu’on lui oppose. Il faut donc trouver des résistances qui s’appuient sur plusieurs gènes. Enfin, le processus très long de croisement doit aussi permettre d’éliminer progressivement les caractères indésirables du parent sauvage tout en améliorant la grosseur des tubercules et la productivité des plants.
Dix ans de sélection
GÉNITEURS. Ce n’est qu’en 1997 que l’Inra a pu présenter plusieurs "géniteurs améliorés" issus de ces travaux de recherche à l’Association des Créateurs de Variétés Nouvelles de Pomme de Terre (ACVNPT). Géniteur amélioré parce que le travail de sélection n’est pas fini. Les quatre sociétés françaises de création de variétés doivent alors reprendre un cycle de croisements supplémentaire et pas moins de dix ans de sélection pour associer les gènes de résistance avec les caractéristiques demandées par le marché à ce produit de consommation. Les pommes de terre destinées à la consommation «fraîche » (dont celles à chair ferme), à la transformation industrielle (chips, frites, surgélation, etc.) et à la féculerie (pour usage dans l’agroalimentaire principalement) n’ont pas en effet les mêmes qualités recherchées. Les sélectionneurs améliorent ainsi régulièrement les variétés. Actuellement, le catalogue national est riche de 300 références et 44 ont été inscrites depuis 2012. Dont 8 résistantes baptisées Cephora, Passion, Tentation, Maïwen, Kelly, Rackam, Zen et Stronga, cette dernière offrant même une résistance à un autre ravageur de la pomme de terre, le nématode à kyste.
La saison 2016 a été plutôt favorable à ces nouvelles espèces. Les pluies incessantes du printemps et donc les attaques virulentes de mildiou qui a besoin d’humidité pour se développer ont posé d’énormes problèmes aux agriculteurs. "Or, certains qui ont essayé ce printemps les variétés résistantes ont bien constaté qu’elles étaient peu affectées par la maladie", note Jean-Paul Bordes. L’intérêt est d’autant plus fort que le secteur sait bien que les produits chimiques les plus toxiques vont être progressivement interdits tandis que les doses épandues de ceux qui garderont leur autorisation d’usage devront diminuer. La génétique constitue donc une solution, associée cependant à l’émergence de lutte biologique et la création d’outils d’aide à la décision dans les choix agronomiques des agriculteurs.
La pomme de terre en France
La France produit annuellement 5 510 000 tonnes de pomme de terre de consommation. Elle en est le premier exportateur européen. Chaque Français en consomme 52 kilos par an. Un million de tonne est produit pour la féculerie, la fécule de pomme de terre étant un ingrédient essentiel des plats cuisinés de l’agroalimentaire. Les 2/3 de la production proviennent des Hauts-de-France, première région européenne en valeur.
Fuente: http://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/agriculture/20160919.OBS8343/la-pomme-de-terre-apprend-a-se-passer-de-pesticides.html